Pour un nouveau député, franchir le seuil de l'Assemblée Nationale est une émotion à la mesure du prestige de l'institution, de sa contribution prestigieuse à l'histoire universelle, et des grands spectres qui l'habitent encore du souvenir de leurs débats homériques.

Revenu de dix ans de mandat parlementaire européen, j’y suis entré avec la même solennité qu'un novice, mais avec une curiosité particulière.

Comme tous les primo-députés, dans toutes les assemblées du monde sans doute, on y est d’abord assigné à un devoir de tempérance des ambitions et de révérence vis-à-vis des anciens. 
D'emblée, bien des choses mystérieuses s'accomplissent par devers vous dans un climat impressionniste et selon des lois naturelles insondables : la distribution des meilleurs bureaux, l'affectation des sièges dans l'hémicycle ; et surtout l'attribution des fonctions dans les Commissions, qu'on vous présente comme une servitude volontaire alors que la plus anodine d'entre elle accorde à son titulaire des privilèges d'information, de préséance, de représentation et de parole dont il jouira tout le temps de la mandature. De ce point de vue rien de neuf par rapport aux mœurs du Parlement de Strasbourg et de tout autre sans doute. 

Et puis, quand on réalise qu’il y a des constantes et permanences universelles dans les procédures subtiles et complexes des travaux d’Assemblée, on y trouve d’autant plus rapidement ses marques qu’on en a une expérience antérieure. 

Et puis vient le temps des comparaisons d'ambiance et de culture parlementaires. 

Là, le contraste est saisissant !

L'Assemblée Nationale s'y distingue par un curieux mélange de pompe républicaine et de climat électrique.

La tenue est stricte et connote une élite distanciée du peuple ordinaire. Seule l'entrée des femmes en nombre, auxquelles la déconcertante soudaineté du phénomène épargne un code vestimentaire sévère, a introduit de la couleur et de la fantaisie au sein d'une masse d'hommes sinistrement assignée au costume cravate.

Il y est radicalement interdit de tourner le dos un moindre instant à la tribune présidentielle, et les huissiers s'appliquent à le rappeler sans faiblesse au débutant importun.

Les séances sont ouvertes par une haie de gardes républicains en tenue d'apparat. Le bicorne tricolore est de rigueur pour les huissiers lors des séances solennelles. Le formalisme antique de l'Institution et son protocole immuable contrastent avec la décontraction très contemporaine du Parlement Européen. 

Les sièges y ont le charme suranné et l'inconfort muséographique du mobilier national. En tout cas il est incomparablement plus confortable de travailler et de siéger dans les hémicycles modernes de Strasbourg et de Bruxelles ou de la plupart de nos collectivités locales.

Cette facture solennelle est très vite démystifiée, une fois le seuil de la salle des séances franchi, par l'ambiance d'insolence potache qui prévaut lors des débats.

A cet égard, le brouhaha et les invectives hystériques des élus de l’opposition tentant de couvrir de leurs vociférations de bidasses en permission le discours de politique générale du Premier Ministre, tout autant que les grossièretés machistes qui ont accueilli la robe colorée de Cécile Duflot lors de sa première prise de parole ministérielle, sont proprement étrangers à tout ce que j'ai vu en 10 ans de Parlement Européen et 25 ans de mandats locaux. 

La Représentation nationale voudrait se rendre caricaturale au peuple et en alimenter les réflexes anti parlementaires qu'elle ne s'y prendrai pas autrement.

Et puis l'organisation même des débats qui prévaut dans l'Assemblée Nationale française, concourt à les rendre incompréhensibles au peuple, au corps défendant des parlementaires les mieux disposés. 

En débattant en séance publique de chaque amendement d’un texte, préalablement à son vote, la procédure française incite d’autant plus à l’inflation d’orateurs que les députés sont désormais « évalués » à la prise de parole, et largement télédiffusés.

Mais elle érige aussi l’obstruction parlementaire en sport national. Il suffit de cloner à l’infini des amendements pour éterniser des débats de pure répétition. Cette grosse ficelle tactique a évidemment pour objet d’éroder l'écoute et d’user les effectifs jusqu'aux petits matins, au risque que la télévision donne à voir une salle clairsemée et inattentive occupée à faire son courrier ou à bailler aux corneilles. 

Cette singularité française des séances de nuit interminables trouve aussi son explication dans le cumul des mandats qui contraint la présidence de l'Assemblée à comprimer, en deux jours et deux longues nuits, l’agenda parlementaire afin de disposer du maximum de parlementaires avant qu'ils ne s'empressent de retourner dans leurs circonscriptions. Du coup, ce sont les élus franciliens les plus proches de l'Assemblée et de leurs domiciles qui sont préposés à tenir la tranchée quand l'adversaire enlise le débat.

Au final, le travail n'y est pas moins sérieux qu'ailleurs, mais il prête le flanc à y paraitre infiniment plus volage.

Au lieu de quoi, une Assemblée plus complexe et plus nombreuse telle que le Parlement Européen a opté pour deux dispositions simples qui lui assurent plus de flexibilité et de sérénité délibérative :

  • Les débats et les votes sur les amendements s’effectuent en Commissions lors de séances publiques télévisées où la prise de parole est finalement plus spontanée et plus généreuse.
  • La discussion générale sur le texte s’effectue en séance plénière publique mais à un moment distinct de son vote, qui y gagne en légitimité s’il y perd en romantisme tribunicien, par une présence obligatoire de tous les députés. 

Après tout, il est légitime que toute Assemblée soit attachée à sa culture et à ses rituels. 

Mais il n’est pas sûr que les Français d’aujourd’hui, à en juger parce qu’ils en expriment sur le terrain, n’aient pas épuisé les charmes des joutes et des jeux de rôles trop convenus de notre vie parlementaire.

Force est de constater que la création de deux nouveaux groupes parlementaires, contraignant à une plus ample distribution de la parole, accroit le risque d'embolisation du travail parlementaire, tel qu'il est organisé aujourd'hui. 

La limitation promise du cumul des mandats devrait certes garantir plus de disponibilité aux parlementaires et donner à l'Assemblée une respiration bienvenue, mais qui ne suffira pas à imprimer une image plus empathique de l'Assemblée Nationale si l'on n'y ajoute pas une touche de modernisation de l'Institution et de ses procédures délibératives.